Les yeux sondant l'obscure immensité sans la voir, il voguait au gré de
ses pensées, les sourcils légèrement froncés au dessus d'un regard
aussi droit que franc, voilé par la rêverie. Quelque chose comme un
sourire ironique venait redresser ses lèvres, lui donnant à cet instant
l'air d'un un nounours qui médite sur sa dernière bêtise. De l'autre
côté de la surface lisse et transparente, l'océan sans fin de l'espace;
son domaine, son territoire, son défi. Sous sa main, ferme et
légèrement cornée par les années d'efforts, la carlingue renforcée,
presqu'aussi lisse que la fenêtre qui donnait sur le grand vide, mais
d'une fraicheur réconfortante, vibrait légèrement comme un de ces
félins sauvages lorsqu'il était satisfait.
Et elle pouvait être satisfaite. Il aimait bien croire que son vaisseau
était une Bisounours, à laquelle il vouait du respect et pour laquelle
il se pliait en quatre lorsqu'il lui prenait un caprice. Aujourd'hui,
pour la première fois depuis longtemps, elle avait le droit de naviguer
à plein régime : son ronronnement disait plus que tout combien les
moteurs se réjouissaient de chanter à plein poumons leur puissance si
souvent injustement brimée. Il avait remarqué, bien des fois, lors des
ralentissements ou des manoeuvres, combien elle se montrait craintive
et bruyante.
Oui, une Bisounours.
Un soupire lui échappa. Les Aliens... qu'il soit maudit. Ses traits se
crispèrent légèrement, sa bouche pincée dans une mimique soucieuse. Sa
patte se crispa spontanément sur la garde d'un objet assez bizarre,
accroché à sa hanche dans un harnet. On aurait pu dire qu'il s'agissait
d'une simple lame, ou d'une épée, s'il n'y avait plusieurs petits
nodules électroniques incrustés sur l'énorme garde. Un visage, d'une
beauté irréelle, planait dans sa mémoire. Un visage où deux grands yeux
sombres sondaient son âme... Un visage qu'il n'avait jamais vu. Jamais,
en dehors de ses rêves.
Qu'il soit maudit! Il avait réussi à l'ôter quelques instants de sa
mémoire. Effort bien futile, au demeurant; et il en avait conscience,
ce qui ne faisait qu'augmenter sa frustration.
Sa patte caressa à nouveau la carlingue, mais il n'en ressentait plus
le même plaisir. Son esprit était maintenant complètement tourné vers
la contemplation de la vision incrustée dans sa mémoire comme s'il
avait pu l'admirer de ses propres yeux. Le fond de la vision était
assez atypique pour le persuader qu'il ne s'agissait pas simplement du
fruit de son imagination : il n'aurait jamais songé tout seul à mettre
des coordonnées planétaires sur un fond de carte galactique comme
arrière-plan à une beauté pareille, quel gâchis!
Il s'éloigna du hublot, s'approcha d'un pupitre de commande enclavé dans une niche quelques mètres plus loin.
"Alors? on approche?
- Oui Empereur Bisounours Calin, on devrait être aux alentours des coordonnées de l'alliance Aurore dans environ 24h.
- Je n'y vois rien du tout...
- Vous ne me croyez pas?
- Laisse tomber. Signalez-moi toute anomalie. Et bon appétit!"
Sa dernière remarque fut accueillie par plusieurs éclats de rire. Son
équipage le connaissait bien, après ces quelques années passées
ensemble dans cette capricieuse carlingue motorisée, telle qu'il aimait
à l'appeler parfois. Ils connaissaient son caractère, d'ordinaire
cordial, et lui pardonnaient assez souvent ses sautes d'humeur.
Certains, même, le connaissaient depuis qu'il avait reçu sa licence de
mercenaire.
Etre mercenaire n'était pas aussi excitant qu'il l'avait pensé
lorsqu'il avait embrassé cette carrière, mais au moins était-il fidèle
à ses valeurs, et libre comme l'air. Libre, par exemple, de partir à la
recherche d'une vision de recrutement..
sa c'estun autre rp que tu peux modifier